Dobby Animateur
Nombre de messages : 2127 Age : 31 Date d'inscription : 03/03/2007
| Sujet: Al Berto Mer 24 Juin 2009 - 22:08 | |
| - Citation :
- Un des grands poètes portugais du XXe siècle (1948-1997), l'un des plus populaires aussi
Né en 1948 à Coïmbre, sous le nom d’Alberto Pidwell Tavares, le poète a passé son enfance à Sines (Alentejo), ville qu’il a évoqué dans Mar de Ceva (1968). D’abord étudiant aux Beaux-Arts, Al Berto a quitté le Portugal pour la Belgique. Il n’est revenu à Lisbonne qu’en 1975, ville où il est mort 22 ans plus tard. Al Berto était poète, peintre, libraire, rédacteur littéraire, traducteur. Al Berto collabora à diverses revues et publia plusieurs recueils de poésie, influencés par Rimbaud et Genet, mais aussi par par les mouvements libertaires et par la génération beatnik américaine. Un poète découvert cet année avec La lettre à l'ami, une des trois lettres de la mémoire des Indes, lettres de suicide du poète. (Bon, c'est pas joyeux mais c'est beau quand même) - Citation :
Je vais partir Comme si c’était toi qui m’abandonnais
Le dernier rêve que j’ai eu était étrange Je voyais le fond limpide d’une rue étroite Qui débouchait sur une place illuminée Il y avait des lions empaillés sur le sable des allées Je ne me souviens pas bien Il me semble qu’une femme s’avançait, une enveloppe à la main Elle me la tendait et criait Mais je n’arrivais pas à comprendre Elle m’insultait très probablement Elle avait la face cachée par une toile blanche et brodée Je voyais juste s’ouvrir sa bouche énorme Et avaler furieusement la pourpre de l’air Qui entourait les têtes inclinées des lions J’entendais les klaxons nerveux des autos Exactement comme on les entend aujourd’hui Mais je ne parvenais pas à les voir Puis Un garçon apparaissait à un coin et je t’ai reconnu Une voix gravée dans la mémoire nous accompagnait Quand nous nous dirigions l’un vers l’autre Dans une chambre lente [...] Soudain la voix a cessé J’avais dans la main une quantité de comprimés mortels Puis la voix s’est faite entendre à intervalles irréguliers [...] Quand la voix s’est tue la femme riait Je courrais vers toi sans pouvoir te rejoindre Je me suis assis sur le lit Du fond des âges m’est revenu le moment de notre rencontre J’ai décidé de me lever à minuit Et de t’écrire cette lettre
Je me souviens qu’il y a trois jours nous avions faim Posé contre le marbre de la table de nuit La photographie somnolait à côté du paquet de gauloises filtre L’obscurité n’était pas seulement extérieure Nous nous connaissions par le toucher et pas l’odeur Nous nous confondions en murmures Et tu resplendis encore dans l’obscurité des chambres où nous avons dormi Nous croisions des regards complices Nous parlions beaucoup je ne me souviens pas de quoi Et dans la chaleur de nos corps le désir croissait Nous marchions dans la ville Je mettais les mains dans les poches Où je farfouillais tout ce que j’y conservais Un mouchoir une boite d’allumettes un bloc-notes Je me sentais heureux de ne posséder presque rien L’image bleutée de tes mains flottait devant moi Tu gesticulais pour me dire que nous étions vivants Et passionnément épris Je t’écris Dans mon corps je sens un frisson un vertige Qui remplit mon cœur d’absence et de saudade Ton visage est semblable à la nuit L’étonnante nuit de ton visage ! J’ai couru au téléphone mais je ne me souvenais pas de ton numéro Je voulais juste entendre ta voix Te raconter le rêve que j’ai fait la veille et qui m’a terrorisé Je voulais te dire pourquoi je pars Pourquoi j’aime T’entendre dire qui est à l’appareil ? Et le courage qui me manque pour répondre et raccrocher Ensuite j’ai tourné dans la maison comme un fauve an cage La nuit est devenue pathétique sans toi Ça ne rimait à rien de penser à toi sans se précipiter dans la rue Courir à ta recherche Parcourir la ville d’un point à l’autre Seulement pour te dire bonne nuit ou peut-être te toucher Et mourir Comme lorsque tu m’as caressé ma tête et que je n’ai pu t’identifier Malgré tout j’ai senti ta main je savais que c’était ta main Mais je ne pouvais pas t’identifier Oui Parcourir la ville te rechercher même si tu t’éloignais Même si tu ne me regardais pas Même si tu me disais des choses qui me Même si Et avoir la certitude que ce sera toi qui me recherchera ensuite
Parcourir la ville le corps assoiffé La nuit rongeant ma peau Buvant dans mes veines le peu de forces qui me restent Une lame tranchant l’asphalte somnambule Où meurent les noms ambigus de corps sans sexe Le venin agissant des pieds à la tête Les mains inondées de pluie tâtant un sexe quelconque Le sang la pluie le souvenir de ces jours si difficiles La nuit violente qui macule des visages chagrins Des visions de rêves encore non rêvés Des images dilacérées de bouches couronnées de fleurs d’acier filé J’entends à nouveau une voix et maintenant je ne rêve plus Mais je t’écris Et je l’entends encore en moi comme si elle était gravée Et la bande du magnétophone usée d’avoir été trop écoutée [...] Tu sais Parfois je voudrais t’embrasser Je sais que tu y consentirais Mais si nous nous étions donnés l’un à l’autre nous nous serions séparés Parce que les baisers effacent le désir quand ils sont consentis Ce fut mieux de savoir l’ampleur de notre désir Sans même oser toucher nos corps Aujourd’hui j’ai de la peine Je pars avec cette blessure J’ai de la peine de ne pas avoir parcouru ton corps Comme je parcours les cartes avec mes doigts j’aurais voyagé en toi Du cou jusqu’aux mains de la bouche jusqu’au sexe J’ai de la peine de n’avoir jamais murmuré ton nom dans l’obscurité De ne m’être jamais réveillé Près de toi les nuits étaient d’or Et les mains auraient gardé la saveur de ton corps Ah mon ami Je suis définitivement seul Je me suis préparé au grand isolement de la mort Mais j’ai perdu ma peur La folie me dévaste Je prépare l’ultime voyage vers des Indes imaginées On m’a dit que ce n’est que là-bas que l’on peut se reposer de la vie Et de la mort Je fouille la raison profonde de ce voyage Ou peut-être est-ce déjà le voyage retour que j’entrevois Et alors ça ne vaut pas la peine de partir puisque je suis déjà de retour A mon insu/ A ton insu J’hésite à te laisser par écrit davantage qu’un simple adieu De quelque manière aussi loin que je me trouverai Si tu poses ta main sur ma tête je le sentirai Ce geste apaisera toutes mes souffrances Le matin approche son couperet J’entends des navires quitter le quai J’affûte la lame J’étends les voiles en agonie une lame de verre Pour fendre les eaux imperturbables du jour sans boussole Je détruis les lettres des papiers manuscrits d’autres vestiges Je détruis les images qui m’appellent et veulent me retenir ici [...] Mais nous n’avons plus de nuit à dévoiler Je me souviens La ville est à chaque fois plus intime de notre séparation Nous marchons dans des directions opposées Ou mieux Je marche tandis que tu n’existes pas La nuit s’approche avec ses territoires d’ombres et de fables Des pénombres tremblantes des sables effaçant des résidus de corps Ton corps minuscule froidit à l’intérieur de moi Quand les fauves s’éveillent dans les yeux je m’abandonne A l’ocre boueux des terrains vagues La voix me fait mal quand elle parvient aux lèvres Les doigts pénètrent le métal et scintillent Des coquilles ouvertes au sommeil Où ai-je donc abandonnée notre passion ?
Un cristal flotte dans le souffre des villes lointaines De longs cheveux de jade balaient ton visage D’indéchiffrables végétations Le rêve devient exotique quand tu ouvres les bras Des fleuves majestueux surgissent sous tes paupières Je pose ma tête sur eux je la laisse flotter Une femme zigzague dans les couloirs de la maison Je vois des vêtements épars sur le sol La femme crie Cours de long en large dans la chambre, injurie les appareils électroménagers Ouvre le frigidaire Jette les légumes congelés par terre et les piétine Les écrase contre le mur et pleure Rit prend une chemise rayée et la déchire en lambeaux Recommence à courir Entre dans la salle de bain et ouvre tous les robinets Ouvre toutes les fenêtres et rit Et lèche les vitres sales Verse du sucre dans le téléphone Et pisse sur les pétunias en plastique fluorescent Mais tout ceci s’est passé il y a très longtemps dans un autre lieu Dans un autre corps
Je me tourne vers le sud de nos corps et je découvre une île Je parcours les lents chemins du tabac et je découvre L’or vieilli des sentiers alchimiques Les sinueux mystères de la soie et du poivre les grandes routes Du vent je bois l’âpreté de la vie errant Où la femme dort tranquille dans le désordre d’une chambre
Le téléphone sonne obsessionnellement sonne Un corps translucide surgit du papier où je t’écris L’eau des cris répétés se révèle à moi Une tache de lumière tombe sur mes lèvres closes Je me cherche dans la cendre silencieuse de ta mémoire Dans la maison traversée d’échos et de départs de feux je respire Difficilement j’entends le bourdonnement des boules de flipper La chambre se peuple de visages aériens de regards mécaniques De flocons d’air en forme de serres Qui se défont en filaments terreux La femme avance sous le poids de la tempête Ici il continue à pleuvoir Le flacon de barbituriques me raconte le suicide raté La femme a ton visage ou le mien je ne sais plus La lumière parcourt ton corps dénudé Il fait nuit depuis très longtemps Je fixe un point invisible au mur je suis assis sur le lit Je t’écris Et j’ai la certitude que personne ne sera capable De me voler ma mort Parce que j’habite ce pays liquide par erreur Et j’ai du mal à imaginer le sommeil hors de mon corps Si tu veux viens dormir contre moi viens Nous rêverons un pays fabuleux tout près du cœur des arbres Viens Avant que le corps se convulse dans le froid sans dieu et la folie
Il fait presque jour Au-dehors les avenues restent désertes [...] Les funiculaires jaunes sont déjà passés et les mains ne sont plus miennes Elles sont avides Avides de nudité Mais je vais partir te laisser là Comme si c’était toi qui m’abandonnais Voyages avant l’aube partir Loin de ces jours inutiles Moi Pauvre de moi Navigateur de la nuit proche de la mort Je vais embrasser dans le sang les songes d’un peuple qui ne rêve pas Moi Archipel de cendres océan du néant Je pars les veines gonflées et je pense que ça n’en vaut peut-être pas la peine Mais je pars J’ai besoin de trouver le lieu sûr de notre amour Veux-tu m’accompagner ? J’aperçois déjà la hune d’inquiétantes enluminures de visages de noyés Des mains anciennes comme des rochers des poissons fanatiques Des bouches tourmentées et la tienne mordante Le cordage rongé par le sel Ah mon ami Voici la souffrance de mes lèvres gercées par l’écume océane Voici mes ongles malades protégeant mon sexe ouvert Contre les moussons les vents contraires les vagues déferlantes
Je vais t’abandonner du côté clair de la nuit Où le temps est un filet de lumière déchirant l’épaisseur du corps Je vais partir Avec ces taches de fruits pourris sur le cœur Je vagamonde pour toujours Dans un corridor de miroirs intemporels je te laisse le songe Où déjà ne brûle plus aucun visage aucun nom Aucune voix des ténèbres muettes Aucune passion
Je t’abandonne au-delà de la ligne nette du matin Où l’on dit que tout existe se transforme et continue à vivre Loin Très loin de cette innocente mémoire des Indes | |
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Wilwarin Ancien modérateur
Nombre de messages : 5625 Age : 31 Ville : Ailleurs Emploi : Martyre sanctifiée Date d'inscription : 21/01/2007
| Sujet: Re: Al Berto Jeu 25 Juin 2009 - 15:45 | |
| J'aime pas trop. Déjà la poésie traduite j'trouve que ça tombe souvent à plat, et puis là, le découpage, le vocabualire, tout en fait, ça ne m'accroche pas. | |
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